07/07/2023
Portrait
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Interview de Charlotte Dunoyer, Directrice scientifique transversale santé animale

Charlotte Dunoyer, Directrice scientifique transversale santé animale

La santé des animaux, c’est aussi la nôtre.

Pourquoi ne faut-il pas dissocier santé animale et santé humaine ?

A force de circuler chez les animaux, certaines maladies pourraient s'adapter aux humains. Lutter contre ces pathogènes est nécessaire pour protéger notre santé à tous. L’exemple du virus de l’influenza aviaire est extrêmement parlant. En effet, plus ce virus infecte de mammifères, plus il évolue génétiquement lui permettant ainsi d’acquérir une capacité à devenir contagieux pour notre espèce. Un autre exemple est celui de la grippe porcine. On sait que le porc est un creuset favorable aux réassortiments des virus influenza (porcins, aviaires, humains) et donc à l’émergence d’une maladie zoonotique.

Il est par ailleurs important de maîtriser les zoonoses déjà existantes, comme la tuberculose, la brucellose, la salmonellose ou encore les encéphalites transmises par des tiques. 2022 a été une année très chargée en ce qui concerne la brucellose, maladie transmise par les ruminants. La mobilisation de notre laboratoire de santé animale pour le foyer dans les Alpes de Haute-Savoie a été sans précédent. Les équipes ont mené les différentes investigations analytiques pour établir les liens épidémiologiques entre les bouquetins et l’élevage de bovins touché, puis entre cet élevage et les autres exploitations bovines du secteur. Elles ont également contrôlé tous les bovins du foyer après abattage, pour déterminer le nombre de vaches infectées et poursuivi les investigations analytiques pour la surveillance des bouquetins du massif du Bargy. Tout ce travail est réalisé afin de protéger les animaux et la santé des humains.

Comment les missions en santé animale de l’Anses aident-elles à mieux réagir face aux risques d’émergences ?

Cinq de nos laboratoires de recherche sont spécialisés sur les maladies animales, zoonotiques ou non. En tant que laboratoires de référence pour ces différentes maladies, ils sont responsables de la bonne mise en œuvre et de la confirmation des analyses faites dans les élevages et filières de production pour détecter un agent pathogène et réagir en conséquence. Ils ont donc un rôle majeur dans la surveillance des maladies, en collaboration avec le réseau de laboratoires d’analyses départementaux et tous les acteurs de la plateforme d’épidémiosurveillance en santé animale. Les compétences scientifiques de nos laboratoires permettent d’appuyer les autorités en vue de préparer les futures émergences. Prenons l’exemple de la fièvre aphteuse, maladie extrêmement contagieuse, qui serait une catastrophe pour tous les élevages français si elle se développait sur le territoire. Le laboratoire de santé animale de l’Anses détient tous les mandats de référence, nationaux, européens et internationaux, pour cette maladie. Cela nous confère une vision globale des virus aphteux circulant dans le monde, mais nous permet aussi de maintenir une forte vigilance et d’anticiper les émergences. A travers ses différents mandats, notre laboratoire peut également recueillir des spécimens variés de ces virus, indispensables pour mener des recherches sur cette maladie qui n’est pas présente en France.

Quels sont les défis pour éviter de nouvelles épidémies ?

Depuis la crise de la Covid, on parle beaucoup de l’approche « One Health - Une seule santé » : animaux, végétaux, environnement et humains. Or, la pratique ne suit pas encore suffisamment. Il faut repenser le système sanitaire afin d’avoir une coordination transversale des maladies humaines et animales. Cela implique, par exemple, de mettre en cohérence les systèmes de surveillance. Partager les données sur l’évolution des maladies chez les différentes espèces animales et chez les humains et de les analyser conjointement permettrait d’avoir une vision plus globale des risques. Par ailleurs, parmi les zoonoses, qui sont des maladies qui affectent à la fois les humains et les animaux, certaines d’entre elles sont peu ou pas réglementées en santé animale parce qu’elles sont le plus souvent inapparentes chez les animaux. C’est le cas aujourd’hui par exemple pour l’encéphalite à tiques, l’échinococcose, la fièvre Q ou la maladie de West Nile. Si l’on ne reconnaît pas l’enjeu One Health de ces zoonoses, nous n’avons aucun outil pour surveiller et prévenir leurs émergences. Enfin, en termes de financement de la recherche, il est important d’intégrer le principe « Une seule santé » sans occulter le volet santé animale, afin d’acquérir des connaissances croisées sur des agents pathogènes que l’on partage, ou qui peuvent devenir zoonotiques. Le programme de recherche européen EJP One Health en est un bon exemple.