Bitume
19/12/2013

Exposition aux bitumes

L’Anses recommande de limiter l’exposition des travailleurs aux bitumes et à leurs émissions

Les bitumes sont des résidus de raffinage du pétrole utilisés principalement pour les travaux de revêtement routiers. Suite à des signaux d’alertes quant à leurs effets sur la santé des travailleurs, l’Anses a été saisie afin d’évaluer les risques sanitaires liés à l’utilisation professionnelle des produits bitumineux et de leurs additifs. Le travail de l’Agence a permis de conclure à un risque sanitaire pour les travailleurs exposés aux liants bitumineux et à leurs émissions. En conséquence, l’Anses formule une série de recommandations en matière de prévention du risque chimique lié à ces substances.

Les domaines d’activités impliquant les bitumes comptent de nombreuses professions et emploient un nombre important de travailleurs. Certains signaux d’alerte observés chez ces travailleurs ont poussé les représentants de la Fédération nationale des salariés de la construction – Confédération générale du travail (FNSC-CGT) à prendre l’initiative de saisir l’Anses en 2008 à ce sujet.

Le bitume : origine, fonction, utilisation

Les bitumes sont des résidus de raffinage du pétrole utilisés principalement pour les travaux routiers. Ils constituent l’ingrédient principal voire exclusif d’un liant, la partie continue qui assure la cohésion d’un revêtement (routier, d’étanchéité de toiture…). La consommation moyenne annuelle française de bitume est estimée à plus de 3 millions de tonnes (entre 2000 et 2010), avec une part de plus de 90 % consacrée aux applications routières (majoritairement l’entretien des voies existantes), les 10 % restant concernant les applications industrielles (activités d’étanchéité et d’isolation). Par le passé, cette fonction de liant était assurée par l’emploi de goudrons et autres produits issus de la houille, progressivement remplacés par les bitumes. Si le bitume et le goudron de houille sont communément confondus dans la langue française, ce sont pourtant des substances ayant des compositions chimiques d’origine et des propriétés très différentes

Une substance complexe

En tant que résidus de distillation, les bitumes sont des mélanges de composés chimiques nombreux et variés (plus de 10 000 composés) dont il est impossible de dresser une liste exhaustive. En effet, selon le pétrole brut d'origine et le procédé de fabrication employés, plusieurs types de bitumes aux propriétés différentes peuvent être obtenus. Un ou plusieurs additifs peuvent également leur être ajoutés dans des proportions souvent faibles (moins de 1 % du liant) pour leur conférer des propriétés spécifiques. Dans ce contexte, il n’est pas possible d’établir un profil type de composition du bitume.

De multiples risques d’exposition

Que ce soit dans le domaine de la construction et de l’entretien des routes, ou de l’étanchéité des toitures et terrasses, les différentes utilisations des liants bitumineux peuvent induire une exposition directe des travailleurs aux bitumes mais surtout à leurs émissions, particulièrement lorsqu’ils sont chauffés pour leur manipulation. Les émissions produites varient grandement selon le procédé de mise en œuvre, la nature des produits utilisés, ainsi que le type de travail effectué. Elles sont composées de particules en suspension, de vapeurs et de gaz.

L’exposition des travailleurs aux liants bitumineux et à leurs émissions implique ainsi les voies :

  • respiratoire, par inhalation des émissions ;
  • cutanée, par contact direct avec les produits, par dépôt des émissions sur la peau ou par contact éventuel avec les vêtements souillés ;
  • orale, via l’ingestion de produits ou de leurs émissions (contact main-bouche, notamment).

Il existe des limites à l’évaluation des expositions des travailleurs liées notamment à la métrologie atmosphérique, ainsi qu’à la métrologie cutanée. En l’absence d’harmonisation aux niveaux national et international, l’Anses encourage la mise en œuvre systématique de deux méthodes dans la caractérisation de l’exposition des travailleurs aux émissions de bitumes, l’une globale dans une démarche préventive de réduction des expositions et l’autre spécifique dans une démarche d’investigation médicale. Par ailleurs, le benzo(a)pyrène, considéré comme le traceur historique du risque cancérogène mesuré dans les émissions de liants bitumineux, n’est plus le seul traceur pertinent : l’Anses formule donc des recommandations de recherche quant au suivi d’autres composés afin de mieux appréhender le risque sanitaire.

Des effets sanitaires à prendre en compte

Parmi les composés identifiés dans les bitumes et leurs émissions, certains sont classés cancérogènes par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) et/ou classés comme substances cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques (CMR) et/ou dangereuses par l’Union Européenne. Le CIRC a par ailleurs classé l’exposition aux bitumes oxydés et à leurs émissions lors des travaux d’étanchéité comme cancérogène probable pour l’Homme et l’exposition aux bitumes et leurs émissions lors de la pose d’enrobés et/ou lors de travaux d’asphaltage comme cancérogène possible.

Au-delà du potentiel cancérogène des produits bitumineux et de leurs émissions, les études épidémiologiques ont mis en évidence l’existence d’effets respiratoires (asthme, bronchites chroniques…) liés à une exposition des travailleurs. Des effets cardiovasculaires et immunotoxiques sont également suspectés.

Il est également important de garder à l’esprit que les travailleurs sont exposés à d’autres facteurs de risque potentiellement responsables d’effets sur leur santé (rayonnements solaires, co-exposition avec des particules, notamment d’émissions de moteur diesel, contact avec des matériaux ou pièces chaudes, bruit, mouvements répétitifs …). Pour les effets cutanés, l’Anses souligne qu’il n’est pas possible, en l’état actuel des connaissances, de tirer des conclusions définitives concernant l’existence ou non d’un risque de développer un cancer cutané chez les travailleurs exposés aux émissions de bitumes et que des données sont également nécessaires afin d’évaluer les effets conjugués liés à une co-exposition aux émissions de bitumes et aux rayonnements solaires. Les premiers résultats originaux de travaux de recherche financés par l’Agence, n’ont pas permis de conclure à l’heure actuelle. L’Anses encourage le développement d’actions de recherche sur ces questions.

Réduire les expositions : une nécessité

Les études réalisées par l’Anses ont pu confirmer le risque sanitaire associé à une exposition des travailleurs aux liants bitumineux et à leurs émissions. En conséquence, les expositions professionnelles aux liants bitumineux et leurs émissions doivent être réduites. La réduction de ces expositions passe prioritairement par des mesures de prévention collective et d’adaptation de l’organisation du travail, qui permettraient notamment la réduction et le captage des fumées émises, la réduction d’impact de la chaleur ainsi que de la co-exposition aux produits bitumineux et au rayonnement solaire.

La prévention du risque chimique est nécessaire, notamment par l’élaboration d’une classification harmonisée des bitumes en lien avec leurs effets respiratoires et selon les dispositions du règlement européen «CLP[1]».

Enfin, l’Anses attire également l’attention sur une problématique nationale émergente. En effet, dans une logique de réduction des coûts, la majorité des travaux routiers concerne aujourd’hui la rénovation et l’entretien du réseau existant impliquant la mise en œuvre d’opérations de recyclage et de rabotage des anciens revêtements routiers. L’Anses insiste donc sur l’importance de la mise en place d’une surveillance étroite des émissions potentiellement dangereuses pour les travailleurs (amiante, goudrons, etc.) générées lors des ces opérations.


[1] CLP : Classification, Labelling, Packaging ; Règlement (CE) n° 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relatif à la classification, l'étiquetage et l'emballage des substances et des mélanges, modifiant et abrogeant les directives 67/548/CEE et 1999/45/CE et modifiant le règlement (CE) n° 1907/2006.